Valeur locative de marche : rêve ou réalité

TJ PARIS, JLC, 18 juillet 2024, RG N° 23/07781

Les baux commerciaux comportent le plus souvent une clause spécifique tendant à déroger à la règle du plafonnement prévu à l’article L. 145-34 du Code de Commerce afin de fixer lors du renouvellement du bail le loyer à la valeur locative.

Dans la mesure où les valeurs locatives données par les tribunaux sont très souvent en dessous des loyers de marché à la date du renouvellement, la clause contient une précision indiquant que la valeur locative sera une valeur locative de marché.

Tel était bien le cas du bail en question qui contenait la clause suivante :

 « A titre de condition essentielle et déterminante du présent bail, il est stipulé qu’en cas de renouvellement éventuel dans les termes des conditions découlant des présentes, le loyer de base sera fixé à la valeur locative de marché et ce, nonobstant les dispositions de l’article L. 145-34 du Code de Commerce auquel les parties entendent déroger. A défaut d’accord entre les parties sur la valeur locative de marché, celle-ci sera fixée par le Juge des Loyers Commerciaux conformément aux dispositions des articles L. 145-56 et suivants du Code de Commerce. »

Le Juge des Loyers Commerciaux rappelle que la règle du plafonnement n’est pas une disposition d’ordre public et que les parties sont libres d’y déroger afin de convenir librement des modalités de fixation du prix du bail renouvelé.

Le juge considère que :

« La seule référence dans le contrat à la valeur locative de marché sans aucune autre stipulation expliquant l’étendue des obligations des parties et le mode de détermination de la valeur locative de renouvellement, conjuguée à l’absence d’exclusion expresse de l’application des dispositions de l’article L. 145-33 du Code de Commerce, ne permet pas de conclure à un engagement express et non équivoque des parties d’écarter les règles de la fixation du loyer renouvelé à la valeur locative statutaire déterminée selon les règles légales. »

Le Juge des Loyers Commerciaux considère que la notion de valeur locative de marché n’est donc pas suffisamment définie.

Il a manifestement perdu la mémoire. 

En effet, la Charte de l’expertise en évaluation immobilière donne de la valeur locative de marché la définition suivante :

« La valeur locative de marché correspondant au montant pour lequel un bien pourrait être raisonnablement loué au moment de l’expertise. Elle s’analyse comme la contrepartie financière annuelle de l’usage d’un bien immobilier dans le cadre d’un contrat de bail. » 

Il oublie que, pendant plusieurs décennies, les juridictions se sont référées à cette notion de valeur locative de marché. C’est ainsi que par jugement du 30 juin 2012, le Juge des Loyers Commerciaux du Tribunal de Grande Instance de PARIS avait donné de la valeur locative de marché la définition suivante :

« La valeur locative d’un emplacement telle qu’elle résulte du jeu de l’offre et de la demande sur un marché ouvert à la concurrence. » (TGI PARIS, 30 juin 2012, RG N° 10/02225)

La Cour d'Appel de LYON a quant à elle considéré valable la clause stipulant que :

« En cas de renouvellement du bail, le loyer du nouveau bail sera, à défaut d’accord amiable, fixé à la valeur locative de marché des biens loués à la date du renouvellement, et ce, de convention expresse par dérogation aux articles L. 145-33 et L. 145-34 et suivants du Code de Commerce. » (CA LYON, 8 octobre 2020, N° 17-08329)

Il convient de rappeler que la différence entre la valeur locative de marché et la valeur locative judiciaire constitue dans bien des cas le fondement de calcul de l’indemnité d’éviction due par le bailleur au preneur puisque cette indemnité est calculée selon la méthode du différentiel de loyer. Vouloir nier cette réalité pourrait en définitive nuire au locataire lorsqu’il existe un motif de déplafonnement du loyer au cours du bail expiré.

Les baux de centres commerciaux donnent souvent une définition de la valeur locative de marché dans la mesure où les références locatives doivent être prises dans un même ensemble commercial, ce qui est conforme à la jurisprudence. 

Les juridictions ont ainsi appliqué la fixation de loyer à la valeur locative de marché lorsque celle-ci était contractuellement définie au bail. (TJ PARIS, 21 décembre 2023, RG N° 19/12977) Le bail contenant la clause suivante :

« Le loyer de renouvellement sera fixé à la valeur locative de marché, les parties entendant expressément et irrévocablement déroger aux règles relatives au plafonnement du loyer ainsi qu’aux règles de fixation judiciaire prenant en compte des valeurs locatives autres que celles constatées pour de nouvelles locations lors du renouvellement. Les seules valeurs à prendre en considération pour établir la valeur du loyer de renouvellement seront celles résultant de loyers librement négociés entre les parties aux baux servant de référence pour des locaux de boutique situés dans le même arrondissement et conclu au cours des 36 mois précédant la date d’effet du renouvellement. »

Le Juge des Loyers Commerciaux en tire comme conséquence que :

« Conformément à la volonté des parties, la valeur locative du loyer de renouvellement ne peut être fixée selon la manière traditionnelle en prenant en considération aussi bien les fixations judiciaires que les renouvellements amiables et les nouvelles locations, mais doit être déterminée seulement par rapport aux références que les parties ont souhaité voir prises en compte. »

Les parties sont donc libres de déterminer d’un commun accord les modalités de fixation de la valeur locative lors du renouvellement du bail. Ces précisions sont parfaitement valables. Mais en l’absence de ces précisions, vouloir dire que la valeur locative de marché n’est pas une notion suffisamment connue pour déroger à la fixation à la valeur locative telle que déterminée par l’article L. 145-33 du Code de Commerce, parait relever d’une amnésie.

Amnésie temporaire ou définitive… Il conviendra de veiller à ce qu’en pensera la Cour d'Appel et, le cas échéant, la Cour de Cassation si elle est saisie.

Benjamin Boukris